August Sander (1876-1964), Walker Evans (1903-1975) : ils ont produit quelques-unes des icônes du XXe siècle tout en prétendant n’y être pour rien. Le « style documentaire » (la formule est d’Evans, 1935) relève du paradoxe. Par quel miracle ces photographes qui présentent leurs œuvres comme des duplications du monde, de purs reflets, qui assurent que c’est le motif qui fait la photo, que c’est le modèle qui dicte l’image, par quel miracle ces réductionnistes, ces objectivistes ont-ils non seulement engendré une suite infinie de disciples, mais aussi fourni les témoignages les plus durables sur l’Allemagne de Weimar (Sander) et sur l’Amérique de la Dépression (Evans) ?
Olivier Lugon a consacré plusieurs années au « style documentaire », tant aux Etats-Unis qu’en Allemagne. Il a travaillé à Berlin et à Cologne (en particulier sur le fonds Sander), dépouillé à Washington les archives de la FSA (Farm Security Administration), interrogé les survivants. Il a lu les périodiques, les correspondances, les catalogues, les livres de l’entre-deux-guerres. Il a rassemblé une masse d’informations sans équivalent. Le paradoxe du « style documentaire » ne pouvait s’éclairer que par le contexte institutionnel, esthétique et politique de la période. Il fallait reprendre de fond en comble l’histoire de la photographie entre 1920 et 1945. Olivier Lugon nous décrit le rôle et l’accrochage des grandes expositions internationales en Allemagne, l’activité des premières galeries, les fluctuations de la FSA pendant le New Deal, les rapports de Sander avec le groupe des Artistes progressistes de Cologne.